Dans le cadre du projet “Renforcer la place du volontariat de compétence dans la solidarité internationale” financé par l’Agence Française de Développement, le CLONG-Volontariat mène différentes activités en lien avec ce secteur. 

Une de ces activités consiste à mettre en place une newsletter dans laquelle est mis en lumière une thématique sélectionnée par les membres du CLONG-Volontariat. La première à avoir été identifiée est celle de la lutte contre la pauvreté, et notamment la pertinence de continuer à lutter contre cette dernière à l’étranger alors qu’elle est en augmentation en France. Bruno Dabout, Délégué Général d’ATD Quart-Monde, et Daniel Verger, Responsable plaidoyer au Secours Catholique et président du CLONG-Volontariat, ont accepté de s’exprimer et nous éclairer sur le sujet.



Comment définissez-vous la pauvreté et la grande pauvreté? 

Bruno Dabout : Afin de définir les dimensions de la pauvreté, le mouvement ATD Quart Monde a mené un travail en 2019 avec l’Université d’Oxford dans trois pays du Nord: la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la France et trois pays du Sud: la Bolivie, le Bangladesh et la Tanzanie. L’originalité de ce travail était de permettre à des personnes en situation de pauvreté, des universitaires, des praticiens de travailler sur le sujet plutôt que des experts.

Cette étude a conclu que l’on pouvait distinguer neuf dimensions de pauvreté très liées entre elles : un revenu insuffisant et précaire, le manque de travail décent, les privations matérielles et sociales. A côté de ces 3 dimensions traditionnelles, cette étude a mis en lumière trois dimensions relationnelles : la maltraitance sociale, la maltraitance institutionnelle et les contributions non reconnues. Les trois dernières dimensions constituent le cœur de l’expérience de la pauvreté et concernent la souffrance physique et mentale, la dépossession du pouvoir d’agir et pour finir la lutte et la résistance. L'extrême pauvreté fait référence à cette dépossession totale de tout pouvoir d’agir par rapport à son expérience de vie.

Daniel Verger : Au niveau international, la pauvreté est souvent définie par l’aspect monétaire. Dans les ODD (Objectifs de Développement Durable) de l’ONU, le premier objectif est de lutter contre la pauvreté et d’éradiquer l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, le seuil de l'extrême pauvreté est fixé à 2,15 dollars par jour et par adulte en parité de pouvoir d’achat. Cela signifie que même avec ce revenu, on ne subvient pas à l’ensemble de ses besoins même essentiels. Bien que le nombre de personnes vivant en situation de pauvreté recule plutôt (sauf ces dernières années avec la crise sanitaire et ses conséquences), de nombreuses personnes vivent encore sous le seuil de l'extrême pauvreté.

Il est important d’utiliser la notion de pauvreté relative en regard de ce que gagnent les personnes de chaque société, car ce seuil évolue en fonction des pays. En France, le seuil de pauvreté est estimé à 60% du revenu médian (un revenu où 50% des individus gagnent plus et les autres 50% gagnent moins). D’un point de vue monétaire, les personnes percevant moins de 60% de ce revenu médian sont considérées comme vivant dans la pauvreté. La grande pauvreté est un mélange de difficultés et de manques d’un point de vue matériel, et le fait de vivre avec moins de 50% de revenu médian. 



Quelles sont les formes de précarité en France et retrouve-t-on les mêmes à l’étranger? 

Daniel Verger : L’une des spécificités de la précarité en France est le mal logement. Ce dernier regroupe la difficulté de se loger, le manque de logement, vivre dans un logement de piètre qualité, l'insécurité de pouvoir garder son logement car il est difficile de payer son loyer.

Une autre caractéristique propre à la France est la difficulté d’avoir un travail reconnu socialement et économiquement. Notre culture est très exigeante sur les compétences qu’il faut pour obtenir un travail. Cet aspect est peut-être plus fort dans notre société dans la mesure où il est compliqué de vivre de la débrouille ou de l’informel compte tenu de nombreuses règles. A l’inverse dans les pays du Sud, le travail formel est rare tandis que le travail informel est fort développé et peut permettre d’être inséré dans la société.

Le troisième point qui me semble spécifique à nos sociétés est l’isolement. Les personnes pauvres, parfois âgées aussi, se retrouvent dans une situation d’isolement très forte parce que les liens sociaux sont plus fragiles ou ont été cassés. Cet isolement peut être très important en ville comme en milieu rural et il est sans doute plus notable dans les pays européens. On retrouve en partie les mêmes formes de précarité dans d’autres régions du monde car la pauvreté signifie se trouver dans une situation de précarité, d’insécurité, de souffrance, de peur du lendemain, qui est aussi bien commune à la France qu’au Burkina Faso ou au Pérou.

Ce qui est commun à toute situation de pauvreté, quel que soit le pays, c’est aussi un certain positionnement défavorable, le regard des autres souvent méprisant, stigmatisant et le fait d’être situé et considéré comme au bas de l’échelle sociale. 

Bruno Dabout : Je me retrouve beaucoup dans ce que dit Daniel. Entre les pays du Nord et les pays du Sud, personne n’a encore trouvé la solution pour lutter contre la pauvreté. En France et dans les pays occidentaux, la question de l'isolement est très dure. Mais cette exclusion sociale subsiste malheureusement dans tous les pays. Dans ceux du Sud  par exemple, elle prend des formes différentes. En effet, le sentiment d’inutilité est peut-être moins fort dans ces régions car tout le monde travaille.

En France, la question du logement est particulièrement difficile par rapport à d'autres pays qui ne sont pas tant éloignés, comme la Belgique ou les Pays-Bas. Un point général au Nord et au Sud est que l'extrême pauvreté brise les familles. Au Burkina Faso, des jeunes partent vivre en ville, se séparant ainsi de leurs familles et se retrouvant dans une situation de dénuement matériel. Au Nord, cette fraction se manifeste par le placement d’enfants pour carences éducatives et concerne des centaines de milliers d’enfants qu’on sépare souvent de fratries. Cela se révèle finalement inefficace car on constate que des parents ayant vécu le placement ont à leur tour des enfants placés. C’est un système inefficace et inhumain.



Faut-il encore lutter contre la pauvreté à l’international alors que cette dernière et les inégalités ne cessent d’augmenter en France? Si oui, comment faire pour coordonner les actions en France et à l’international? 

Bruno Dabout : Pour moi qui  suis engagé dans le mouvement ATD Quart Monde, cette question est vraiment bizarre ! Si l’on reprend l’histoire de notre mouvement, ce dernier a été créé dans un bidonville de région parisienne à l’époque de la reconstruction après-guerre. Nos premiers volontaires étaient Belges et Anglais dans le cadre de camps de jeunes. Les premières personnes qui nous ont aidées en France étaient donc étrangères. Ils ont d’ailleurs donné naissance au volontariat international de notre mouvement.

Un autre point très important est qu’il n’y a encore aucun pays qui n’a résolu la question de l’exclusion sociale ou de l’extrême pauvreté, personne ne peut donc donner de leçons aux autres. Il est très important pour des personnes en situation de précarité à l’étranger de découvrir et voir que la pauvreté existe aussi en France et dans les sociétés occidentales. Cela change complètement la manière dont on perçoit les relations entre les peuples et le développement de sa communauté, de son pays.

Aussi, nos premiers volontaires européens ont créé ATD Quart Monde dans leur propre pays. Aujourd’hui, nos équipes en France et à l’étranger sont internationales. Je dirais donc que nous avons fait du volontariat de réciprocité avant qu’il n’ait été proposé comme mesure institutionnelle, ce qui est une très grande richesse. Au sein d’ATD Quart Monde, nous pensons que lier un engagement pour la lutte contre la pauvreté dans son pays et dans une autre région du monde est extrêmement riche c’est pourquoi des actions de lutte à l’échelle locale et internationale me semblent indissociables. 

Daniel Verger : On constate une forme d'aggravation de la pauvreté en France et dans d’autres pays européens ou américains. En même temps, on remarque un développement spectaculaire de la région asiatique notamment. On peut donc se demander où sont les priorités aujourd'hui. Plus les inégalités sont grandes, moins les gens sont heureux. Des études confirment qu’une plus grande égalité est un facteur de santé et plus largement de bonheur. On retrouve ce phénomène partout. S’engager dans la lutte contre la pauvreté ou plus largement s’engager pour une société plus juste et meilleure, c’est le même combat dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord.

J’ai eu la chance d’avoir la double expérience d’un engagement à l’international, de découvrir ce qu’il se fait dans d’autres pays, participer à des projets et en même temps de travailler à la lutte contre la pauvreté en France et s’engager pour une société plus juste. Ayant vécu une douzaine d’années en Afrique au sein du réseau Caritas, j’ai longtemps travaillé dans le secteur de la solidarité internationale. Ces dernières années, je me suis plutôt engagé sur l’aspect de la lutte contre la pauvreté en France au niveau du Secours Catholique. Je retrouve beaucoup de points communs entre mes deux expériences. Mon travail à l’international me sert dans mon engagement d’aujourd’hui. Inversement, je pense qu'avoir une bonne expérience en France augmente notre capacité à être un acteur utile dans les pays du Sud. Le fait de pouvoir faire les deux est extrêmement porteur et très important car on ne peut pas séparer le côté local de l’engagement international. Aujourd’hui, les volontaires de réciprocité illustrent bien cette idée en venant faire du volontariat en France.  

Avez-vous remarqué des résultats plus importants que d’autres dans certaines zones géographiques? A l'inverse, quels facteurs rendent plus difficile de mener des projets efficaces de lutte contre la pauvreté dans certaines régions? 

Daniel Verger : Je suis contre l’idée qui circule parfois que l’aide au développement a été vaine dans les décennies précédentes. Certes, la pauvreté est toujours présente et reste une blessure forte dans toutes les sociétés mais elle a beaucoup diminué en proportion de la population au niveau mondial. De même, l’espérance de vie a fortement augmenté tout comme le taux de scolarisation et d’éducation des enfants, y compris en Afrique où ces taux ont longtemps été très bas. 

En ce qui concerne l’Asie, il reste évidemment des pays pauvres. Mais la Chine, l’Inde ou le Bangladesh sont très optimistes sur leur évolution car ils réalisent la possibilité d’une vie meilleure pour leurs enfants, ce qui est très encourageant. Ces avancées en termes de niveau de vie prouvent que la mobilisation de personnes et des politiques efficaces sont payantes. Aujourd’hui, la société civile est beaucoup plus dynamique, organisée et forte dans des pays qui ont été en difficulté, comme en Afrique ou en Amérique latine. Ce sont surtout des facteurs internes qui ont aidé au développement, l’importance de la société civile a fortement augmenté depuis quarante ans et les tendances actuelles sont porteuses d’optimisme. 

Bien sûr, ce n'est pas un long fleuve tranquille : la Covid 19, le sida, les grandes crises économiques peuvent aggraver la pauvreté dans les pays du Sud et du Nord. Dans les sociétés européennes, la pauvreté s'accroît parce que les inégalités augmentent. Certains problèmes sociaux n’arrivent pas à se régler, comme la question du logement. La France a probablement moins d’inégalités régionales que d’autres pays même si certaines zones sont plus en difficulté. Les populations vivant dans ces régions peuvent voir la pauvreté se transmettre de générations en générations parce qu’elles n’ont pas eu les opportunités pour pouvoir changer de vie et qu'elles n’ont peut-être pas été suffisamment accompagnées et appuyées, y compris par l'engagement solidaire. 

Bruno Dabout : Selon moi, il n’y a pas de zones géographiques où l’on voit des résultats et d’autres où l’on n’en voit pas. Mais il est vrai qu’il y a des pays qui vivent des situations plus difficiles que d’autres. 

Si l’on évoque la situation qu’a entraîné la Covid 19 en Amérique latine, cette dernière est catastrophique. Les écoles ayant été fermées pendant deux ans, seuls les élèves les plus privilégiés (une minorité) ont pu s’en sortir grâce aux cours à distance. Il se pose alors la question de savoir dans quelle mesure la communauté peut résister et quelle est l’efficacité de la mobilisation, de la résistance, du dialogue et des liens entre communautés en situation de pauvreté et institutions. 

En France, on peut parler de la politique de la ville où il reste nécessaire de construire un lien entre institutions et personnes en situation de pauvreté car de nombreux préjugés subsistent. Il est beaucoup plus facile de faire du chemin dans des lieux où des associations sont déjà implantées et où des personnes en situation de pauvreté ont déjà été mobilisées pour faire naître de beaux projets. 

Le dernier point que je voudrais souligner est que même dans des pays en situation extrême, il est possible de réussir certaines actions. En Haïti par exemple, il est possible de créer une certaine mobilisation malgré la dictature des gangs notamment à Port-au-Prince. Des communautés en situation de pauvreté s’unissent pour l’éducation des enfants et certains médecins choisissent aussi de rester dans leur pays. 

Avez-vous chacun un exemple concret (anecdote, succès, difficulté) d’un projet que vous avez mené en France ou à l‘étranger? 

Daniel Verger : J’ai un très bon souvenir d’un projet qui a fonctionné au Mali, où j'ai vécu quelques années. Avec Caritas, nous avons pu monter le premier projet consacré aux enfants des rues à Bamako. Le contexte n’était pas très simple car cette réalité était à la fois très visible et en même temps un peu ignorée par la population. L’enjeu était donc de convaincre l’administration de l’intérêt de monter un tel projet. Grâce à l'engagement de volontaires et d’animateurs maliens, le projet a pu voir le jour. Je suis très content que notre travail continue de fonctionner aujourd’hui, presque trente ans plus tard. C’est une satisfaction de voir que la dynamique continue après de nombreuses générations de responsables s’étant investies dans l’histoire de ce projet. Cela démontre l’intérêt qu’y trouvent les acteurs et qui savent ensuite trouver des successeurs et mobiliser de nouveaux animateurs et animatrices pour faire perdurer le projet.

En France aussi il est possible de faire des progrès dans certains secteurs. Bruno évoquait les Territoires zéro chômeurs de longue durée, et aujourd’hui, plusieurs dizaines de ces territoires ont vu le jour car la dynamique locale a permis la réussite de ce projet. Cette action nous a inspiré pour lancer notre initiative sur les Territoires zéro non recours, sur cette dynamique de travailler à l’échelle locale pour rendre accessible à tout le monde l’accès aux mêmes droits et prestations sociales. L’expérimentation lancée par le gouvernement qui va avoir lieu cette année montre que la mobilisation locale se révèle efficace. 

Bruno Dabout : J’utiliserais plutôt le mot déclic pour évoquer des moments magiques où quelque chose que l’on croit impossible devient possible. Pour un déclic en France, je parlerais d’un jeune de 13 ans qui ne savait ni lire ni écrire bien qu’il soit allé à l’école. Pour Noël, il reçoit un dictionnaire et il sait lire trois mois après. Bien sûr, s’il suffisait d’offrir un dictionnaire ou une tablette à un enfant, la méthode de l’accès à l’éducation de qualité pour tous serait bien plus simple. Ce qui est beau c’est quand ce jeune commence à croire en lui-même et que d’autres personnes, ses parents et enseignants, croient encore plus que lui en ses possibles. 

Je parlerais aussi d’un exemple en Tanzanie où une maman et ses deux enfants sont dans une situation critique après avoir été expulsés de leur logement. C’est au cours d’un atelier d’alphabétisation organisé par ATD Quart Monde que cette maman rencontre d’autres personnes en situation de pauvreté qui lui proposent de se mobiliser pour re-scolariser ses enfants après deux ans sans école primaire. Des liens de confiance se créent et la communauté se mobilise aux côtés d’un volontaire d’ATD Quart Monde pour inscrire les enfants dans une école. Mais le retour à l’école ne se passe pas très bien et les deux enfants sont renvoyés chez eux, notamment en raison des autres parents d’élèves. Finalement, pour éviter que la situation ne s’aggrave encore plus, la communauté dialogue et se mobilise. Aujourd’hui, les enfants poursuivent leur scolarité normalement en cycle secondaire. C’est donc une réussite pour ces enfants-là mais aussi pour toute la communauté. Une fois que des enfants qui ne devaient pas réussir réussissent, il est plus facile de penser que tout le monde peut réussir, et de croire en les autres lorsque l’on s’allie et qu’on s’associe ensemble.  



Dans quelle mesure pensez-vous que la Covid 19 a augmenté les inégalités en France et dans le monde? 

Bruno Dabout : Dans ce genre de situations de graves crises sanitaires, les populations en situation de pauvreté sont de manière générale davantage touchées que les autres. En France, la pandémie a particulièrement été dure pour les familles avec adolescents. Aussi, certaines populations avaient la chance de pouvoir tisser des liens en se téléphonant, en gardant un contact avec leurs proches. Mais dans d’autres endroits, ce genre de relations n’existait pas et ce manque a laissé des dégâts considérables. 

On disait que le travail non formel existait davantage à l’étranger mais il est quand même présent en France, à travers les travailleurs non déclarés par exemple. Ces gens-là ont perdu leurs moyens de vivre et se sont retrouvés dans des situations de grand isolement. On en parle beaucoup pour les étudiants mais pas du tout pour des jeunes d’autres milieux parce que ces derniers ont moins de parole publique que les étudiants, ils sont moins organisés.

La pandémie a accru les inégalités et ce phénomène est aussi visible à travers des ruptures entre milieux sociaux pauvres et classes moyennes qui ont cessé de se fréquenter. Enfin, en termes d'accès à la santé et à l’éducation, on ne mesure malheureusement pas encore toutes les conséquences que le Covid 19 a engendré dans ces secteurs-là. 

Daniel Verger : Au Secours Catholique, nous produisons chaque année un rapport sur l’état de la pauvreté tel qu’on le voit à partir des situations des personnes rencontrées. En 2022, on a analysé l’impact du Covid en particulier sur les budgets, les ressources et les dépenses des personnes. Il est net que deux ans après le début de la pandémie, les personnes se retrouvent plus pauvres qu’en 2020. Les premières mesures gouvernementales ont été plutôt efficaces, ciblées et ont pu aider à passer le cap. Malheureusement, elles n’ont été que ponctuelles et n’ont pas eu de suite. Par exemple, les minima sociaux n’ont pas été remontés. Des personnes ont perdu leur emploi et se sont retrouvées à basculer vers la pauvreté. La situation actuelle est d’autant plus inquiétante qu'aujourd'hui les populations les plus pauvres font face à une inflation très importante, notamment à travers l‘augmentation des prix alimentaires qui est bien supérieure à l’inflation globale ou les coûts de l’énergie. 

Quel rôle peut avoir le volontariat dans la lutte contre la pauvreté en France et à l’étranger? 

Bruno Dabout : Chez ATD Quart Monde, nous pensons que la rencontre entre des personnes en situation de pauvreté et d’autres personnes transforment complètement la société, à la condition que ce soient des relations de réciprocité, des relations qui ne soient pas asymétriques. C’est pour moi le fondement-même de la lutte contre la pauvreté. Une expérience de volontariat permet, pendant un ou deux ans de sa vie, d’aller à la rencontre de populations en situation de pauvreté, d’avoir un impact local. Mais cette expérience de volontariat de solidarité internationale ou de volontariat associatif qui permet de créer des relations de réciprocité a aussi un impact sur toute la vie du volontaire, quelle que soit la fonction qu’il occupe. 

Je crois énormément à une certaine transformation de la société à partir du volontariat associatif, ou volontariat de solidarité internationale, si l'on arrive à mettre en place des actions de réciprocité et construire des propositions intéressantes. On peut par exemple parler d’un système de protection sociale, un système éducatif, la construction de logements sociaux, la création de programmes comme les Territoires Zéro chômeurs, les entreprises socio-écologiques qui ne peuvent naître que s’il y a une ambiance de création de relations humaines où l’on casse la peur de l’autre, la honte de garder ses privilèges pour soi, la honte des personnes en situation de pauvreté et ensemble, on grandit en pouvoir d’agir.

C’est pourquoi pour moi, le volontariat est très lié à la transformation de la société. Le volontariat international d’ATD Quart Monde permet aux volontaires s’étant déjà engagés pendant un ou deux ans de poursuivre leur investissement sur la durée, en changeant la vie d’un quartier, d’une communauté, de se mobiliser ensemble, de construire des projets qui correspondent aux aspirations d’une population. 

Daniel Verger : Je suis tout à fait d’accord avec Bruno. Pour moi, le volontariat représente la dimension humaine de la solidarité, la rencontre est au cœur du volontariat. Cela signifie pouvoir vivre cette rencontre dans la durée, s’engager dans une communauté et sur un territoire pour vivre ensemble. 

Les volontaires apportent aussi leurs compétences, contribuent à résoudre des problèmes. La création de relations, l’ouverture à l’autre sont extrêmement importantes. Je dirais peut-être que c’est encore plus important aujourd'hui dans la mesure où l’on sort d’une période de Covid qui nous a inculqué qu’il fallait se méfier des autres, qu’ils pouvaient être porteurs de virus. Nous sommes dans des tendances où le repliement sur soi (derrière son écran, dans son appartement) ou le repliement de la société (qui a peur de l’étranger) est de plus en plus fort aujourd’hui. 

Je pense donc que la rencontre est le meilleur antidote pour s’ouvrir à l’autre, le rencontrer, vivre ensemble des expériences. C’est la meilleure façon de voir toute la richesse que l’on a à se connaître, à travailler ensemble. C’est ce que porte le volontaire en s’engageant dans la durée. Certains continuent leur volontariat au-delà d’un ou deux ans, d’autres poursuivent des engagements divers dans la solidarité internationale. Le volontariat de réciprocité montre justement que cette rencontre peut se vivre dans tous les sens. 

Que pensez-vous d’ouvrir le volontariat à des publics dits éloignés pour offrir à ces derniers des opportunités, une reconnaissance sociale, et lutter contre l’exclusion sociale dont vous parliez? Et comment faire pour toucher ces audiences-là?    

Bruno Dabout : C’est quelque chose que nous faisons déjà ! Dans les pays d’Afrique où ATD Quart Monde est présent, nous proposons des temps d’immersion pour des jeunes en situation de pauvreté au sein de de nos équipes pendant un ou deux ans. Cette initiative est encore en train d’être développée car il y a de grands défis à relever. 

Le principal challenge est d’établir un parcours pour le jeune sans construire une relation de dépendance vis-à -vis du mouvement ATD Quart Monde. Dans les pays d’Afrique, le travail salarial est très rare donc il faut plutôt proposer du travail non formel aux jeunes pour qu'ils puissent se construire. On mène ces actions aussi en France pour des jeunes en situation de pauvreté. Il y a davantage d’opportunités économiques et l’on travaille plus sur la formation pour leur donner des capacités d’agir. 

Ce sont de longs chemins et de longs engagements. Le plus important est de réussir à construire la rencontre entre des personnes ayant fait des Masters et d’autres qui ont peu appris à l'école mais beaucoup par l'expérience de vie. Ce n’est que comme ça que l’on peut changer les situations dans des quartiers en France et dans le monde, tout en préparant ce parcours en amont. 

Daniel Verger : C’est une réflexion que nous menons au CLONG-Volontariat sur la possibilité d’ouvrir un peu plus le volontariat à des personnes venant de milieux plus populaires ou en tous cas plus éloignés de ces propositions. Nous venons d'accueillir un nouveau membre, l’ADICE, qui a cette expérience et qui pourra donc apporter son expertise au sein du CLONG-Volontariat. Mais c’est un défi parce que, pour l’instant, ce n'est pas vraiment encore le cas. Il y a peu de jeunes issus de la migration qui font une expérience de volontariat. Je pense qu’il faut pour cela développer plus de propositions, plus de liens avec les secteurs de la formation professionnelle, avec des acteurs qui peuvent montrer la richesse des aptitudes acquises par des jeunes, en termes de compétences techniques et pas simplement universitaires classiques. 

Il faudrait peut-être aussi réfléchir à comment des temps courts de découverte peuvent donner envie de s’engager de façon plus longue, ce qui peut représenter une marche un peu moins haute pour une première expérience. Tout cela fera partie des défis que l’on doit relever dans les prochaines années pour jouer pleinement notre rôle d’ouverture de nouvelles possibilités. Là encore, je pense que le volontariat de réciprocité peut jouer un rôle positif en permettant la rencontre avec des jeunes qui peuvent aussi avoir eu un parcours en lien avec la pauvreté dans leur jeunesse. 

Merci beaucoup à Bruno Dabout et Daniel Verger d’avoir pris le temps de répondre à ces questions et de nous avoir éclairés sur leur vision de la lutte contre la pauvreté !